Une danse virtuose avec une lame fine
Les
papiers découpés en filigrane de Réhane Favereau fascinent par leur
richesse en détails et précision. L'artiste genevoise a réalisé la
couverture de ce LandLiebe et nous plonge ainsi dans une ambiance de
Noël.
Texte de Corinne Schlatter
Photos de Nicolas Righetti
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ARTISTE RURAL
Réhane
Favereau pose avec précision la lame de son scalpel spécial sur le
papier, la fait glisser au millimètre près le long de fins traits de
crayon. Aussitôt, elle lève brièvement son œuvre vers la lumière et
regarde à quels endroits elle doit encore couper. "Il est important
d'enlever immédiatement les morceaux de papier découpés, aussi petits
soient-ils. Sinon, on perd la vue d'ensemble", dit-elle.
Travailler
les fines ramifications d'un arbre dénudé en hiver est un défi. Réhane
Favereau doit faire preuve d'imagination et de courage pour couper
toujours au bon endroit.
Comme une chirurgienne lors d'une opération, Réhane Favereau travaille sur les détails.
Réhane
Favereau, 66 ans, de Chambésy près de Genève, est une artiste du papier
découpé. Cette appellation n'est pas tout à fait correcte, car ce ne
sont pas des ciseaux qui lui servent d'instrument de travail, mais un
cutter - un cutter à papier qui, dans son cas, vient du Japon.
Les
œuvres d'art en filigrane de cette femme créative n'ont pas grand-chose
à voir avec les découpages que nous faisions nous-mêmes, enfants, en
découpant de petits motifs dans du papier plié plusieurs fois. Les
papiers découpés de Réhane Favereaud racontent de charmantes histoires,
montrent des scènes - voire des univers entiers - avec une finesse, une
précision et une fidélité aux détails impressionnante. Les motifs sont
tantôt traditionnels, ruraux, alpins, avec des vaches, des alpages, des
chalets, des fleurs, des enfants, tantôt modernes, urbains, avec un
regard esthétique sur des bâtiments, des réalisations techniques ou des
arbres de parc.
L'art du
papier découpé est originaire du nord de la Chine et de la Perse et est
attesté depuis le quatrième siècle. Au 17e siècle, la technique est
arrivée en Europe, y compris en Suisse,
où les
silhouettes étaient d'abord utilisées comme images de dévotion et
portraits de silhouettes. Johann Jakob Hauswirth (1809-1871) est
considéré comme le père du papier découpé traditionnel suisse. Ce
journalier et travailleur itinérant a créé des scènes alpines d'une
beauté touchante et a évoqué la vie simple dans les montagnes avec son
motif le plus connu, la montée à l'alpage.
L'artisanat du papier découpé s'est ensuite largement répandu dans notre pays et est toujours entretenu au plus haut niveau.
Outre l'Oberland bernois, les centres sont surtout l'Appenzell et le Pays d'Enhaut vaudois autour de Château-d'Oex.
Après
une certaine baisse de popularité au cours des dernières décennies, il
existe encore aujourd'hui deux ou trois cents artistes du papier découpé
qui travaillent avec des ciseaux ou des cutters et qui présentent
parfois leurs œuvres dans des expositions. Outre les sujets alpins et
les thèmes d'un monde rural et serein toujours très appréciés, nombre
d'entre eux essayent de sortir du cadre traditionnel des éditions en
papier découpé. Ils surprennent parfois par des formes abstraites,
reprennent en outre des thèmes sociaux, quotidiens ou politiques actuels
et les abordent tantôt avec humour, tantôt de manière critique.
Ils
jouent avec les couleurs, les matériaux, les perspectives, la
tridimensionnalité et la plasticité et marquent leurs œuvres de leur
empreinte.
Réhane Favereau est l'une de ces
artistes contemporaines du papier découpé, toujours à la recherche de
nouvelles formes d'expression. Encouragée et soutenue par son mari
Daniel, qui l'aide à transporter des matériaux lourds ou à installer des
montages techniques, elle expérimente également depuis quelques années
le découpage au plasma et le métal. Elle crée ainsi des sculptures
impressionnantes et des installations lumineuses artistiques, mais aussi
des rampes d'escalier et des décorations murales en fer avec des motifs
classiques de découpage.
L'artiste
considère le travail du métal comme un complément. Le cœur de son
travail créatif reste toutefois l'art du papier découpé, qu'elle ne
cesse de perfectionner. Les nombreuses invitations à des expositions
renommées en Suisse et à l'étranger, notamment au Japon, où le papier
découpé est une forme d'art très respectée, prouvent qu'elle fait partie
du peloton de tête dans ce domaine.
La
Romande, dont les grands-parents, tant du côté maternel que paternel,
étaient agriculteurs et lui ont transmis l'amour de la terre et des
traditions, s'est en outre fait un nom ces dernières années avec des
travaux de commande prestigieux : en particulier avec sa "Spirale"
ludique, avec des histoires tendres et des protagonistes en costumes
magnifiques, qui ont défilé sur les écrans géants de la Fête des
Vignerons 2019 à Vevey VD pendant le gigantesque spectacle sous forme
d'images animées projetées, accompagnant l'action réelle dans l'arène.
En 2015, cette mère de deux filles adultes a en outre pu concevoir une
monnaie commémorative sur le thème des coutumes suisses pour la Monnaie
fédérale Swissmint et a réalisé pour cela une transposition artistique
du thème de la désalpe.
Ces
dernières années, plusieurs de ses papiers découpés étaient également
disponibles sous forme de cartes Unicef, que le Fonds des Nations Unies
pour l'enfance publie avant Noël. C'est une carte de l'Unicef de ce type
qui a donné à l'équipe de rédaction de LandLiebe l'idée de confier à
Réhane Favereau la réalisation de la couverture de l'édition magique des
fêtes.
La vue d'un
village hivernal qu'elle a créée ces dernières semaines, où petits et
grands s'ébattent dans la neige, décorent le sapin de Noël ou se
préparent à la fête dans la chaleur du salon, apaise la nostalgie d'un
Noël blanc.
L'artiste
développe ses histoires dans son imagination et dessine les décors, les
parties de paysage, les personnages, les sujets et les ornements au
crayon sur le verso blanc d'un papier spécial noir ou parfois
multicolore, avant de commencer à découper.
"Il
faut de l'imagination, car il faut faire des croquis inversés",
explique-t-elle, ajoutant que cela est surtout décisif pour les paysages
et les événements réels.
Il
lui faut plusieurs heures pour réaliser un projet. Il est important,
dès cette première étape, de définir les silhouettes, les contours et
les découpes comme un tout cohérent. "Si l'on coupe un support, des
scènes entières peuvent disparaître de l'image".
La créativité dans le sang
Les
œuvres de la Genevoise, découpées avec une minutie inouïe, ont un
charme particulier grâce à leurs contrastes marqués et à leur finesse,
et semblent un peu sorties de ce monde. On se demande comment Réhane
Favereau fait et on s'étonne quand l'artiste raconte qu'elle a appris
son métier en autodidacte.
"J'ai
toujours été créative, j'ai beaucoup bricolé, cousu, tricoté, peint",
explique cette professeur des écoles qui exerçait son métier jusqu'à il y
a quatorze ans. C'est lors d'une visite au musée gruérien de Bulle en
1992, qu'elle a eu son premier contact avec l'art du papier découpé et
qu'elle a acheté un papier découpé. Cinq ans plus tard, elle a commencé à
essayer la technique elle-même. Elle a rapidement développé une
dextérité et une créativité hors du commun et a acquis un grand
savoir-faire. "J'ai encore beaucoup d'idées", admet-elle - heureusement,
on ne peut que l’approuver.